Cofondateur du studio Leti Games, Wesley Kirinya était invité à la
Game Developers Conference 2013 pour parler de l'émergence du jeu vidéo
africain. Entendons-nous bien, il ne s'agit pas de jeux vidéo situés en
Afrique, mais bien de jeux développés sur le continent africain. En
marge des grosses boîtes internationales telles que Ubisoft installé au
Maroc, l'Afrique se découvre de nouveaux studios de développement
indépendants tentant tous à leur façon de pousser le média pour le
développer à travers 55 pays divisés en 3.000 cultures différentes pour
un total d'1 milliard de personnes. Le défi semble de taille
mais visiblement très excitant pour Leti Games créé en 2009 et les
autres (Tasty Poison, Afroes, Kola Studios, Maliyo Games, Kuluya).
Wesley Kirinya a eu l'amabilité de répondre à nos questions pour nous
faire découvrir cette scène encore méconnue des joueurs occidentaux.
jeuxvideo.com > A quoi ressemble le paysage vidéoludique
sur le continent africain ? Est-il dominé par le PC ? Les consoles ? Les
mobiles ?
Wesley Kirinya : On ne parle pas beaucoup de
consoles. C'est un investissement pour se procurer une console, et à
part jouer avec, il n'y a rien d'autre à en faire. Aux Etats-Unis, vous
pouvez regarder la télé sur Xbox et vous avez le Xbox Live.
Il y a donc bien plus d'intérêt à avoir une console en Occident qu'en
Afrique où il s'agit du moyen de jouer le moins populaire. Le PC est
présent, mais il n'est pas aussi pratique que les mobiles. Et vous
savez, les téléphones deviennent de plus en plus puissants et ils sont
plus facilement accessibles aux enfants, n'importe quand. Avec tous les
services qui évoluent autour du mobile, les téléphones sont devenus un
outil important. Et puisqu'ils peuvent de plus supporter le jeu, les
mobiles sont devenus la principale plate-forme de jeux en Afrique.
jeuxvideo.com > Quelle est la proportion entre plates-formes Android et iOS ?
Wesley Kirinya : Android est bien plus important,
simplement parce que c'est moins cher. Un téléphone iOS coûte environ
1.000 dollars tandis qu'un téléphone Android revient à 100 dollars. Le
calcul est vite fait !
jeuxvideo.com > Quels sont les genres de jeux les plus
populaires en Afrique ? Vous disiez lors de votre présentation que les
jeux à teneur éducative étaient très importants...
Wesley Kirinya : L'éducation est très estimée. Si
vous réalisez un jeu et que vous y placez un élément éducatif, les gens
donneront de l'importance à votre jeu, qu'importe si le jeu est amusant.
Le fun d'un jeu tout seul n'est rien. Si vous ajoutez un aspect
éducatif, c'est plus facile à vendre et cela donne envie aux joueurs de
l'essayer. Une fois qu'ils l'auront essayé, ils pourront alors apprécier
le côté amusant.
jeuxvideo.com > En parlant de faire essayer vos jeux, par
quelles voies de communication parlez-vous aux joueurs afin de mettre
vos titres en avant ? Y a-t-il une presse ou des sites Internet
spécialisés pour relayer les informations jusqu'aux joueurs ?
Wesley Kirinya : Dans le cas d'un jeu réalisé en
partenariat avec un constructeur mobile, ce dernier peut se charger de
faire le buzz autour du jeu. Il y a aussi les portails de jeux mobiles
et mettre votre titre sur un portail donne de la valeur au service de
tel ou tel constructeur. Le meilleur moyen de faire parler de son jeu
est à travers ces partenaires qui se chargent de la publicité.
jeuxvideo.com > Mais en dehors de la publicité, avez-vous
des journalistes qui se consacrent à couvrir l'actualité jeu vidéo ?
Wesley Kirinya : Nous n'avons pas de presse
spécialisée dans le jeu vidéo car il n'y a pas assez de jeux pour
couvrir une actualité régulière. Il y a peut-être un nouveau jeu qui
sort tous les six mois... Il y a des blogs ou même des joueurs en ligne
qui parlent de ce genre d'informations. Il y a aussi quelques personnes
que je connais qui écrivent de temps en temps dans des journaux ou
parlent à la télé. Les jeux vidéo sont encore quelque chose de nouveau
pour le continent. Il s'agit d'un nouveau type d'industrie qui existe
ailleurs mais qui arrive sur le continent. C'est excitant.
jeuxvideo.com > Quelles sont les différences que l'on peut observer dans la production de jeux à travers le continent ?
Wesley Kirinya : Le nord est logiquement bien plus
proche de l'Europe et du Moyen-Orient avec de grandes influences arabes.
Et au sud, c'est essentiellement l'Afrique du Sud qui est plus
occidentalisé … non pas vraiment … disons que l'Afrique du Sud est plus
exposée aux courants modernes que le reste de l'Afrique. Avec les
connexions européennes au nord et l'exposition de l'Afrique du Sud au
reste du monde, ces deux zones de l'Afrique se retrouvent à créer des
jeux pour les pays occidentaux. Ubisoft a par exemple un studio au
Maroc, très proche de l'Europe. Développer en Afrique du Sud entraîne
aussi probablement des avantages financiers. C'est peut-être moins cher
de développer là-bas. En tant qu'ancienne colonie, l'influence
hollandaise est aussi très importante en Afrique du Sud. Le pays a
obtenu son indépendance bien plus tard et a logiquement eu une plus
grande exposition à la culture occidentale. Il est donc naturellement
davantage tourné vers l'Europe.
jeuxvideo.com > Cela veut-il dire que les studios à l'est et à l'ouest n'ont pas de contact avec l'Occident ? Travaillez-vous d'ailleurs avec des studios européens ou autres ? Que ce soit pour un partenariat ou du travail de commande ?
Wesley Kirinya : Le travail de commande à l'est et à
l'ouest est principalement tourné vers d'autres studios africains. Il
faut se rappeler que les pays à l'est et à l'ouest sont aussi
d'anciennes colonies, mais des colonies qui ont obtenu leur indépendance
bien avant l'Afrique du Sud. Les différents peuples ont alors tenté de
retrouver leur propre culture. Dans notre cas, nous connaissons notre
culture, et elle est comprise par l'ensemble de la population. Donc nous
pouvons développer des jeux pour eux. Nous voyons le marché africain
comme suffisamment grand pour nous. Même s'il n'est pas aussi vibrant
qu'en Occident. Il est florissant et il nous suffit pour grandir. Donc
nous souhaitons nous concentrer sur ce marché et continuer à le
construire. Oui, nous pourrions travailler sur un produit de commande
pour quelqu'un en dehors de l'Afrique, mais nous sommes si occupés à
faire ce que nous faisons maintenant que nous n'avons même pas vraiment
le temps d'essayer de mettre en place ce type de travail. Une autre
raison est que nous n'avons pas les contacts pour être connectés avec le
marché occidental. Le nord et le sud, parce qu'ils sont déjà connectés
avec l'extérieur, ont probablement ce genre de contacts, donc c'est plus
simple pour eux de travailler avec les studios occidentaux.
jeuxvideo.com > Comment se déroule la formation pour venir travailler dans le jeu vidéo ? Y a-t-il des écoles spécialisées ?
Wesley Kirinya : Nous avons des universités et des
lycées qui enseignent l'informatique et le développement. En général, et
je ne pense pas qu'il s'agisse d'un problème uniquement africain, la
plupart des élèves qui terminent un cursus possèdent les bases mais pas
l'expérience lorsqu'il s'agit de développer des jeux ou d'utiliser des
programmes compliqués. Il nous faut trouver des gens qui ont une
spécialité, comme les graphismes par exemple, mais qui comprennent aussi
comment les ressources du système sont utilisées. Vous savez, parfois
il vaut mieux laisser quelqu'un essayer quelque chose sur la durée. La
plupart des personnes que nous avons engagées sont des personnes que
nous avons formées nous-mêmes. Le cofondateur de Leti Games et moi-même
nous sommes formés tout seuls sur une longue période de temps. Les gars
de l'équipe, nous travaillons avec eux sur des projets, nous leur
laissons voir notre code, nous les laissons jouer un peu avec et nous
leur assignons des tâches spécifiques pour développer des jeux.
jeuxvideo.com > En mettant de côté les grosses structures
telles qu'Ubisoft, quelle est la taille moyenne d'un studio de
développement en Afrique ?
Wesley Kirinya : De cinq à huit personnes environ.
jeuxvideo.com > Travaillez-vous parfois avec d'autres studios ?
Wesley Kirinya : Ah oui. Nous réalisons différentes
parties d'un même jeu. L'avantage de notre compagnie est que nous sommes
vraiment avancés techniquement et cela ne nous dérange pas de nous
occuper de parties techniques. A l'inverse, nous ne sommes pas aussi
doués dans certains domaines, le développement conceptuel, un peu le
business, et il y a des compagnies qui sont bien meilleures à ce niveau.
Oui, nous travaillons tous ensemble.
jeuxvideo.com > Vous parliez avant l'interview d'une Game Developers Conference en Afrique...
Wesley Kirinya : Oui, c'est quelque chose que nous
pensons faire. Nous en sommes encore à la phase de préparation. Il y a
plusieurs types de conférences qui commencent à se former, comme pour
les comics. Nous pensons que si nous nous rassemblons tous, nous
pourrions faire quelque chose.
jeuxvideo.com > Quand avez-vous commencé à travailler dans
le milieu ? Quel jeu vous a donné envie de concevoir des jeux vidéo ?
Wesley Kirinya : Le premier jeu auquel j'ai joué... J'avais 10 ans. C'était Super Mario.
jeuxvideo.com > Sur la NES ?
Wesley Kirinya : Oui. A l'époque, il y avait
quelques consoles par-ci par-là. Des copains en avaient et nous étions
invités à la maison pour tous jouer à leurs jeux.
jeuxvideo.com > Y a-t-il une différence de prix en Afrique qui rend les machines encore plus chères qu'elles ne le sont déjà à la base ?
Wesley Kirinya : Les personnes qui vivent en ville
peuvent s'offrir un PC car les prix ont vraiment baissé mais ils ne le
font simplement pas. Moi-même, je n'ai pas de PC à la maison. Je n'ai
pas de console non plus. J'ai le sentiment qu'il s'agit d'un gadget de
plus à ajouter à la liste de choses à avoir. Le mobile est avec moi, il
est toujours avec moi où que j'aille et vous savez, la plupart des jeux
joués sont des jeux casual. Je ne passe pas du temps à brancher une
machine, à l'allumer, à planifier une session de jeu... La plupart des
jeux sur consoles exigent de passer une heure ou deux avant de pouvoir
réellement être appréciés. La majorité des personnes n'ont pas ce temps à
disposition. Les gens veulent juste jouer à quelque chose qui soit fun,
rapide, pratique et qu'il est possible de continuer plus tard à sa
propre convenance. Les gens ne choisissent pas de consacrer quelques
heures à un jeu, c'est plutôt lorsqu'ils sont dans une file d'attente,
ou dans le bus qu'ils se disent qu'ils n'ont qu'à s'occuper à faire
autre chose, en l'occurrence jouer.
jeuxvideo.com > Le continent est divisé en plusieurs blocs
de langues avec principalement deux gros blocs anglais et français, et
de multiples autres langues moins répandues. Comment se déroule la localisation des jeux en Afrique ?
Wesley Kirinya : Quand vous prévoyez de développer
un jeu, vous regardez à qui vous allez le vendre. Dans le cas d'une
commande, on nous dit où il sera vendu. Généralement, les jeux sont
simplement en anglais ou en français. Parfois, il y a d'autres langues,
comme par exemple au Kenya où il y a l'anglais mais aussi le kiswahili.
Le cœur du marché détermine quelles langues seront utilisées. Si le jeu
vise des jeunes joueurs, l'anglais fonctionne très bien. Vous savez, de
nombreuses personnes ne savent pas déchiffrer leur langue maternelle à
l'écrit. Et si par bonheur ils y arrivent, ce n'est pas aussi simple à
lire que l'anglais. Dès l'école, vous êtes habitué à lire en anglais et
vous emmagasinez des mots assez rapidement. Même si le jeu cible une
zone connue pour suivre sa culture traditionnelle, les gens connaissent
l'anglais. Nous développerons donc le jeu en anglais. C'est aussi cette
langue qu'ils lisent dans le journal. En revanche, si le jeu a besoin
d'être réalisé dans leur langue maternelle, il sera alors probablement
uniquement parlé. Moins de textes et plus de voix.
jeuxvideo.com > Vous parlez beaucoup de différents marchés
visés pour tel ou tel jeu et vous mentionniez plus tôt les partenariats
avec les constructeurs. Je suis curieux de connaître le processus
initial de création d'un jeu. Avez-vous l'idée d'un jeu et vous cherchez
alors un partenaire pour le financer ou est-ce l'inverse, une compagnie
vous démarche pour développer un jeu ?
Wesley Kirinya : C'est un peu des deux en fait. Nous
avons nos propres concepts que nous tentons de réaliser seuls mais nous
cherchons aussi des partenaires pour nous aider à distribuer et à
vendre le jeu. Lorsque quelqu'un nous contacte pour développer un titre,
c'est généralement dans un but éducatif, un jeu pour enseigner quelque
chose.
jeuxvideo.com > Quels genres d'enseignements ?
Wesley Kirinya : Nous en avons fait un pour une
compagnie qui souhaitait que ses employés apprennent plus sur ses
produits. Ils avaient beaucoup de produits et ils cherchaient un moyen
de motiver leurs employés à mieux connaître leurs articles. Vous jouez
au jeu, vous en apprenez plus sur les produits et vous êtes récompensé
pour cela. Un autre jeu visait à apprendre à choisir de bons leaders en
rassemblant des données sur les gens mais en gamifiant le processus.
Vous deviez comprendre ce que les gens pensaient, et savoir si untel
ferait un bon leader. Ce genre de choses. Lorsque les contrats viennent
de compagnies externes, c'est principalement pour réaliser un jeu
sérieux et éducatif.
jeuxvideo.com > Vous nous avez montré des concepts de Pharaon, d'Ananse et d'autres figures emblématiques de l'Histoire ou du folklore africain. Que comptez-vous faire avec ces personnages ? Quels types de jeux sont prévus ?
Wesley Kirinya : Il s'agit de jeux réalisés en
interne chez Leti Games. Pour ceux-là nous voulons développer des jeux
de plates-formes action. Nous voulons qu'une gamme de comics sorte en
parallèle des jeux. Les jeux et les comics seront distribués séparément
mais suivront la même histoire.
jeuxvideo.com > Les jeux sont-ils prévus pour rester sur
le sol africain ? Y a-t-il une chance de les voir arriver en Occident ?
Wesley Kirinya : Il y a bien une chance. Mais encore
une fois nous voulons d'abord faire grandir le marché africain. Et
exporter le jeu en Occident exige bien plus de ressources. Nous sommes
une petite compagnie et nous avons le temps de grandir. Nous avons des
personnes de talent. J'ajoute que les compagnies en dehors du continent
ne comprennent pas aussi bien la culture africaine que nous pour
réaliser ce que nous voulons faire. Donc avec tous ces avantages, nous
ne nous sentons pas particulièrement menacés. Si nous nous sentons
menacés un jour, alors il sera peut-être temps de chercher un bon et
grand partenaire. Ceci dit, nous pensons que si nous réussissons bien en
Afrique, les jeux commenceront à s'exporter d'eux-mêmes en dehors du
continent.
jeuxvideo.com > C'est tout ce que l'on vous souhaite. Merci Wesley Kirinya.
Source : http://www.jeuxvideo.com/news/2013/00064856-regard-sur-le-jeu-video-africain.htm
jeuxvideo.com > Cela veut-il dire que les studios à l'est et à l'ouest n'ont pas de contact avec l'Occident ? Travaillez-vous d'ailleurs avec des studios européens ou autres ? Que ce soit pour un partenariat ou du travail de commande ?
jeuxvideo.com > Y a-t-il une différence de prix en Afrique qui rend les machines encore plus chères qu'elles ne le sont déjà à la base ?
jeuxvideo.com > Vous nous avez montré des concepts de Pharaon, d'Ananse et d'autres figures emblématiques de l'Histoire ou du folklore africain. Que comptez-vous faire avec ces personnages ? Quels types de jeux sont prévus ?
Source : http://www.jeuxvideo.com/news/2013/00064856-regard-sur-le-jeu-video-africain.htm
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